J’ai 38 ans. Non, mais quand même, attention, je suis en couple depuis 20 ans et dites-moi, à quoi sert d’endurer l’homme si ce n’est que pour avoir le bonheur de le regarder accomplir les tâches qui lui sont dédiées? J’ai nommées : sortir les poubelles et faire la tondeuse.
Cela dit, j’accomplis plus que ma part dans les tâches de couple. Et puis, avouez, la tondeuse, c’est une affaire de gars. Pourquoi d’ailleurs? Je vous le demande! Pourquoi avoir choisi les repas, qui sont trois fois par jour ou le lavage, qui est tous les trois jours, alors que la tondeuse, elle, se fait une fois semaine (comme les poubelles d’ailleurs!)? D’autant plus que si votre homme est un tant sois peu organisé, il s’arrange pour que ses deux tâches s’accomplissent le même jour et hop là, s’en est fait et bouclé de ses responsabilités de maison.
Mais trêve de philosophie.
Je vous expliquais donc que, pour la première fois de ma vie, j’ai passé la tondeuse.
Évidemment, nul ne peut prétendre arriver à une tâche d’une telle complexité sans, au préalable, avoir obtenu les crédits formation déclinés par l’école des maris-amis-pères, tondeurs de renoms.
- Oui, mais est-ce que je peux avoir un choc électrique en passant la tondeuse?
- Ben… si je passe sur le fil, par exemple!
- OK. Je comprends qu’avec celle-ci c’est impossible, puisqu’elle fonctionne à essence…
- Oui, bien sûr…On peut justement les différencier facilement à cause du fil qui est attaché après quand c’est une tondeuse électrique.
(Note aux lecteurs : cela dit, je le savais mais c’est toujours bon de faire croire à l’homme qu’il est supérieur en matière de tondeuse. Ce savoir se transmet tout de même de père en fils depuis des millénaires et déjà, le simple fait d’y avoir accès est plutôt réjouissant!)
- OK, donc, après l’avoir démarrée, je tiens bien la poignée qui commande le moteur. Si je sens une situation d’urgence, je lâche la poignée et le moteur s’arrête de lui-même.
- Oui, je comprends qu’il faut lâcher juste la pression sur la poignée, pas la tondeuse au complet!
- Et le fil électrique, je fais quoi avec, si ça arrive?
- Quoi? Oh oui, excuse-moi, c’est vrai, celle-ci est à essence… je n’avais pas encore pris le temps de noter l’absence du fil électrique.
- Et pour la démarrer?
- Je tire…euh, je tiiiiire…humpffff ! Je tiiiiiire encore?
- Euh, c’est bien sur ce fil que je dois tirer? Je suis pas en train de jouer avec le fil électrique toujours? Je ne voudrais pas prendre un choc surtout!
- Ah oui, c’est vrai, à essence, je vais m’en rappeler.
- Mettre plus de force dans mon bras?
- Hummmpfff…
Bon, maintenant, la bête ronronne entre mes mains, bien agrippées à la poignée (surtout, ne pas lâcher la poignée, à moins d’une situation d’une extrême urgence, sous peine de devoir retirer sur la corde de toutes mes forces!).
Je peux envisager commencer.
- QUOI? DU DOUBLE DÉCHIQUETAGE?
- OK, TOUJOURS REPASSER À LA MOITIÉ DE LA TRACE PRÉCÉDENTE!
(Si ça évite de ramasser les restes, ça me fait plaisir!)
- NE PAS COURIR DERRIÈRE LA TONDEUSE?
(avant de penser à faire mon jogging en coupant le gazon il faudrait d’abord que je puisse arriver à la pousser à un rythme décent, mais merci du conseil!)
Donc, je disais que j’étais prête à affronter le gazon, moi la belle chevauchant la bête.
(Mon homme trouve que c’est zen faire le gazon. Suer en arrière d’une tondeuse qui fait un bruit d’enfer… je veux bien essayer de comprendre!)
OK, j’y vais. Plan de match.
(Ben quoi? Ça prend un plan de match, je ne vais pas me lancer dans le coupage de gazon sans une petite planification quand même!)
Comme quoi, 10 ans d’expérience en gestion de projet, ça peut toujours être utile à la maison.
Je me propose donc de découper la cour en zone prédéfinie de formes plutôt régulières. Les zones plus longues devraient être gardées pour la fin, quand je serai plus fatiguée et que j’aurais envie du moins de manipulation possible. En commençant par le sud, je devrais pouvoir bénéficier du soleil tout au long de mon activité…
- QUOI, JE PEUX LÂCHER LA POIGNÉE SI JE NE TONDS PAS TOUT DE SUITE?
(oh que non!)
…idéalement, il faudrait aborder les différentes zones de façon à tondre sans avoir à reculer.
- EST-CE QUE ÇA COUPE QUAND MÊME UNE TONDEUSE SI ÇA RECULE OU ÇA COUPE JUSTE DE L’AVANT?
(Quoi ? Y a pas de questions niaiseuses!)
- POURQUOI JE SAIS QU’UN SKI DOO N’A PAS DE RECULONS ALORS QUE JE NE SAIS PAS SI UNE TONDEUSE COUPE EN RECULANT?
(Savoir millénaire j’imagine!)
Bon. Tondre suivant des formes régulières que je vous disais.
Un point critique dans le schéma de planification de tonte : les platebandes aux contours irréguliers et les massifs de fleurs débordants. Comment les contourner en coupant le gazon tout au bord de la platebande sans abîmer les fleurs?
- QUOI? UN COUPE-BORDURE?
- C’EST ÉLECTRIQUE OU À ESSENCE ÇA?
- OUI, JE VAIS LE FAIRE APRÈS!
En fait, ça semble plutôt difficile le coupe-bordure, la preuve, l’homme ne le fait jamais (mais il le promet toujours).
À bien y penser, peut-être que je pourrais m’en sauver du coupe bordure, après tout, j’ai déjà une tondeuse entre les mains, je suis au bord d’une plate-bande débordante, je suis certaine que je peux aisément réussir là où l’homme échoue en y apportant un peu de soins. Allez, je m’essaie!
Oups…
Est-ce que l’homme est là? Il ne m’a pas vu? pfiououou…
(Note au lecteur : c’est carrément impossible de faire un beau bord de platebande avec la tondeuse sans abîmer les fleurs et arbustes qui s’y trouvent! Pourtant, je me revois, totalement en délire, à crier après l’homme chaque fois qu’il passe la tondeuse : VEUX-TU SVP FAIRE LES PLATES-BANDES AU COUPE-BORDURE? J’INVESTIS DES HEURES DE TRAVAIL DANS CES FLEURS ET TOI, TOUT CE QUE TU TROUVES À FAIRE SES PASSER DEDANS AVEC LA TONDEUSE….Enfin, vous voyez le topo. Je suggère fortement aux hommes de faire faire le gazon au moins une fois dans leur vie commune par leur femme. C’est un excellent moyen de faire taire la critique (voir l’état de panique profond) concernant le découpage des bordures. Et hop, on en parle plus et on vit avec des arbustes un peu amochés.)
À cette étape, ma première tondeuse m’a permis de percer un des grands mystères du savoir millénaire relayé de père en fils : ce qui rend la tondeuse si zen finalement, c’est qu’elle fait tellement de bruit que pendant une heure, nos hommes ont le bonheur de ne pas nous entendre chialer!
Est-ce que je vous ai dit que je n’ai pas encore lâché la poignée? Non, aucune situation d’urgence à l’horizon!
- OUch!
(Une fléchette en mousse des enfants, inutilisable maintenant. Méchant vacarme dans la tondeuse, j’ai bien failli lâcher la poignée!)
Vous vous rappelez qu’en commençant par le Sud j’ai le bonheur de joindre l’utile à l’agréable en me faisant bronzer tout en faisant le gazon. En accordant mes mouvements à ceux du soleil, je suis assurée de sa présence tout au long de mon travail. Est-ce que j’ai dis aussi que mon terrain avait 10 000 pieds carrés? Et que ça m’a pris 3 heures faire le gazon? (cela dit, j’ai bon espoir de battre mon record la prochaine fois, puisque je n’aurai pas à suivre le cours de consignes du début.)
Donc trois heures, au soleil à tondre le gazon, c’est ce qui m’a fait comprendre le deuxième grand mystère du savoir millénaire relayé de père en fils : pourquoi on doit tondre le gazon torse nu. J’avoue m’être convaincue, avant de commencer, qu’il y avait peu de chance que je salisse mon petit chandail GSus à 50$ en faisant la pelouse. J’ai donc opté pour le remplacement de ma jupe pour un short et de mes sandales pour mes bottes de marche. Le tout parfaitement assorti au dit chandail GSus. C’est qu’elle a eu chaud la belle, derrière la bête, à courir (oh non pardon, il ne faut pas courir!). D’ailleurs, mon chandail (noir en passant!) est au lavage, il sentait l’essence et le déodorant passé date.
C’est pour cette raison que la tondeuse est une affaire de gars, c’est une activité à faire torse nu.
- SI JE VEUX UN VERRE D’EAU?
(il est à peu près temps, ça fait 3 heures que je tonds la pelouse!)
Pouaaahahahahah ! Ça fait du bien de rire de même. T’écris bien ma chum ! Continue xx