En 1998 j’ai adopté une œuvre d’art orpheline d’un artiste inconnu. Je suis tombée amoureuse d’elle en un instant. Mon coup de foudre a été aussi soudain que notre rencontre imprévue. Nous étions faites l’une pour l’autre.

Je venais de faire les 800 km de route qui me séparait de Montréal pour assister à une conférence de l’École d’architecture, donnée par mon patron architecte de l’époque. Nous avions pris quelques minutes pour aller saluer sa fille qui fréquentait alors l’établissement, sur les traces de son père.

Il faisait bon de revoir les ateliers des étudiants en architecture et leur bric-à-brac sessionnel obsessionnel. Moi aussi, à peine quelques années plus tôt, j’avais habité, presque jours et nuits, ces locaux. Afin d’endurer cette vie peu commune en communauté, nous avions l’habitude de délimiter notre espace et de l’aménager au gré de notre créativité.

C’est là que je l’ai vu, accrochée sur un panneau-frontière, près de la table de travail d’une étudiante.

Je l’ai aperçu l’espace d’une seconde et elle m’a hypnotisée. J’ai eu pendant un court laps de temps, l’impression de me regarder dans un miroir. C’était moi. Elle avait mes cheveux en broussailles et cet air unique au fond des yeux, un mélange particulier de malicieux et de bougonneux. Je l’avoue j’ai résisté à l’envie profonde de la prendre, là, sans réfléchir. Mais elle était à une autre et j’ai dû la laisser dans son domicile.

Je pensais à elle souvent après cette rencontre et j’en étais certaine, elle pensait à moi. Sinon, comment aurait-elle pu atterrir, 6 mois plus tard, sur mon bureau, après avoir fait les 800 km de voiture en sens inverse? Comme tant d’autres, elle avait quitté la grande ville pour s’installer en région. Comment aurait-elle pu me retrouver, si ce n’était pas qu’elle était, elle aussi, transportée d’amour pour moi?

Je n’ai jamais rencontré sa propriétaire d’origine, celle pour qui elle était née. Son créateur la lui avait offerte, avec tout son amour. Tout ce que je sais, c’est que la séparation fut brutale et dégoutée. Le créateur et la propriétaire ne s’aimant plus, il n’y avait aucune raison, aux yeux de cette dernière, qu’elle continue à l’aimer, elle. Ce n’était après tout qu’un dessin, une œuvre qui avait été faite pour quelque chose qui n’existait plus.

On m’a raconté l’avoir sauvée in extrémis d’une catastrophe certaine. On voulait la jeter.

Je me plais à imaginer qu’elle m’a appelé et qu’elle a crié Au secours. Elle me savait loin et m’a imploré de venir la chercher. Quelqu’un l’a entendu.

Ce matin de mai, la fille de mon patron est entrée à l’agence avec un petit rouleau dans les mains : « c’est pour toi Annie, elle est orpheline maintenant. J’ai bien vu comment vous vous étiez regardé. Sa propriétaire n’en voulait plus, elle voulait la jeter, je la lui ai demandée et je te l’ai rapportée ».

Je l’avais désirée, elle m’avait choisie et m’était revenue.

Depuis plus de 12 ans maintenant elle dort à mes côtés et a toujours eu cette place de choix, dans ma vie, à la tête de mon lit.

Depuis tout ce temps, elle est restée sans nom… et son créateur m’est toujours inconnu.

Vous reconnaissez le nom de l’artiste? Ça me plairait bien de résoudre ce léger mystère! Je ne souhaite pas demander une pension, mais par curiosité, j’aimerais bien savoir qui il est et ce qu’il a fait d’autre.